jeudi, juillet 21, 2005

FÉES, part 2 of 4

Une pluie fine tapotait contre la vitre de la chambre de Romain. Il était tard, trop tard pour qu’un garçon de son âge aille raisonnablement se coucher, mais Jeanne ne pouvait rien lui refuser.
« On ira à la mer, demain ? »
En fin de compte, elle pouvait refuser une ou deux choses.
« Tu sais bien que maman a du boulot…
- J’aime pas quand tu dis ça, dit Romain.
- Que j’ai du boulot ?
- Non, ça, ça va. J’aime pas quand tu dis : maman fait ça…
- Ah, conclut Jeanne en souriant ».
Il grandit vite, songea-t-elle.
A force de vivre qu rythme de ses personnages et leurs situations stéréotypées, Jeanne finissait par adopter les mêmes modes de pensée. C’en arrivait même à certaines absurdités ; autrefois, c’était elle qui se projetait dans ses romans pour y donner de la crédibilité. Comment aurai-je réagi dans ce cas, se demandait-elle. A présent, c’était elle qui faisait appel à ses personnages dans le quotidien.
Que ferait Victoria à ma place ?...
Donc, elle s’inquiétait quant à l’absence de père dont Romain était la victime. Dans ses romans, il aurait secrètement souffert de cette carence pendant de longues années, et, privé d’un modèle masculin, aurait peine à se forger des repères solides.
Il aurait imaginé jouer avec des fées, se dit-elle.
Elle balaya toutes ces idées d’un revers de main mental. Trop cliché, assurément.
Le père de Romain avait été une demi erreur. « Demi » car cela avait fini par engendrer Romain, qui était sans aucun doute son chef d’œuvre, loin devant sa collection d’écrits.
Il y a quelques temps, Jeanne s’était alors rendu compte que son ancien amant avait alors lentement changé de statut, allant de la case « regrets » à celle de « nom figurant sur le chèque de la pension ». Il n’était à présent plus que ça. Il n’appelait pas pour parler à Romain et n’avait au grand jamais parlé de garde partagé. Et cela convenait à tout le monde, et en particulier à la nature possessive de Jeanne.
L’enfant était couché et la regardait, assise sur le lit. Elle fixait d’un regard distrait par la fenêtre.
« Je devrai rentrer l’assiette, pensa-t-elle tout haut, la tête toujours tournée vers l’extérieur.
- Non, non, s’il te plait, gémit Romain.
- Mais il pleut dessus et…
- Non, la pluie touche pas. S’il te plait, on la laisse.
- Bon, bon, céda Jeanne ».
Elle embrassa son fils sur le front.
« Je t’aime, lui dit-elle ».
Elle avait un jour écrit qu’il s’agissait là d’une phrase dont on pouvait abuser tant qu’elle était sincère. Puis elle lut un jour la même phrase dans un autre livre, et l’avait donc effacé sur sa version définitive.
Ce qu’elle ignorait alors, c’est qu’elle ne lui redirait pas de sitôt.

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Les yeux gonflés de sommeil égarés dans son café, Jeanne s’était perdue dans ses pensées. Elle songeait au vélux de sa chambre, mais ne se souvenait ni de la raison ni du fil conducteur qui avait fini par lui mettre en tête.
Elle s’était couchée très tard la veille, mais pas à cause du roman. Paradoxalement, alors qu’il lui fallait être dans la pénombre pour travailler, elle était incapable de pondre ne serait-ce qu’une ligne la nuit.
Et à présent, le jour non plus, songea-t-elle.
Elle alla faire un brin de toilette et vit par la porte entrouverte de la chambre de son fils le lit vide et défait. Romain se levait tous les jours bien plus tôt qu’elle, il devait être dehors en train d’essayer de lancer la balle au chien (ou de la lui récupérer, quand le labrador la gardait ensuite jalousement).
Elle revient ensuite dans son bureau, ferma les stores et alluma son ordinateur.
Il était presque midi quand elle s’arrêta. Elle avait plutôt bien avancé. Elle n’avait toujours pas élucidé le mystère des aveux de Victoria mais avait développé une intrigue secondaire intéressante. Elle espérait ainsi que le passé de l’héroïne ait un rapport quelconque et que son secret s’écrirait tout seul.
Elle se rendit à la cuisine pour préparer le repas. En chemin, elle trouva étrange que Romain ne soit pas venu la déranger ce matin. Elle ouvrit la porte donnant sur le jardin. Rien. Juste le labrador qui gesticulait sur le dos, les pattes en l’air.
Elle monta les marches conduisant aux chambres et hasarda un :
« Romain ? »
Pas de réponse. Elle entra dans toutes les pièces. Il avait peut-être la musique sur les oreilles et ne l’entendait pas appeler. Puis lui vint une idée.
Mais oui, il doit faire la conversation à nos colocataires du fond du jardin.
Elle s’y rendit assez prestement. Un sentiment jusqu’alors inconnu montait en elle. Arrivée près des haies, elle se mit à parler tout haut, avant tout pour se rassurer elle-même.
Mais elle ne vit que la fontaine blanche. Dessus était posée la sempiternelle assiette, pleine.
Il n’est pas venu la chercher.
Alors le sentiment refoulé en elle éclata. Ce sentiment, c’était un puissant et presque animal esprit de maternité, comme venu du fond des âges.
« Romain ! Romain ! »
Elle se rendit à son domicile, toujours en hurlant. Le chien intrigué la regarda cavaler. Elle refit toutes les pièces. En elle se battaient la raison qui lui disait que son fils devait être tout près, et ce primal instinct de mère qui la persuadait que quelque chose d’horrible venait d’arriver à sa chair.
Paniquée, elle resta sur place, au milieu du salon, les poings crispés et cria à s’en faire mal.
« Romain ! Romain ! ROMAIN ! »
Aucune réponse.
Elle s’écroula sur elle-même et éclata en sanglots.

3 commentaires:

Yvze a dit…

C'est beau..on dirait du Paul-lou sullitzer.

ced a dit…

Connard

Vinnie a dit…

Non, il veut dire, Paul Lou pourrait signer ce texte !